Source [La Gazette des communes] : Facilitée par la généralisation des smartphones et le contrôle insuffisant de l’âge réel des utilisateurs des sites pornographiques, l’exposition des mineurs à des contenus illicites a considérablement augmenté. Quelles en sont les conséquences et comment les en protéger ?
Par Fauve Sodade, psychologue scolaire
Une consommation de porno en hausse chez les mineurs
La moitié des 15-17 ans aurait déjà surfé sur un site porno, leur première visite, volontaire ou non se faisant en moyenne vers 14 ans. Ces chiffres sont inquiétants, même s’ils varient selon les études.
Thomas Rohmer, président de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (www.open-asso.org), assure que ce constat est une réalité pour la grande majorité des adolescents entre 11 et 14 ans. Il milite pour l’application du code pénal français qui interdit la diffusion de contenus pornographiques à destination des mineurs.
Dans les lycées où il fait de la prévention, il rencontre des jeunes « biberonnés depuis leur plus jeune âge au porno ». Ce qu’il explique par « le rajeunissement » de l’âge auquel les parents équipent leur progéniture en smartphones et tablettes.
Thomas Rohmer met en avant la responsabilité des adultes : « À une période où ils sont des volcans hormonaux, les ados n’ont aucune réponse à leurs questions légitimes sur la sexualité. Le porno devient leur principale source d’information. Ces images ne sont jamais décryptées comme un genre fictionnel, ce qui leur laisse croire que c’est la réalité. »
La pornographie a également élargi son public, on la consomme de plus en plus jeune et les femmes sont également concernées. Une enquête française de Michela Marzano et Claude Rozier révélait en 2005 que 58 % des garçons et 45 % des filles ont vu leurs premières images pornographiques avant 13 ans.
Des contenus trop facilement accessibles
Malgré un cadre législatif strict, les contenus pornographiques sont quasiment en accès libre sur Internet. Lors du premier confinement, au printemps 2020, une explosion de la consultation de ce type de contenus par le jeune public a été constatée.
La loi française en matière de diffusion de contenus pornographiques est stricte et interdit que ceux-ci soient accessibles aux mineurs. La réalité est toute autre puisqu’il n’a jamais été aussi facile de consulter les sites qui en proposent gratuitement. Un simple clic indiquant que l’on est majeur suffit pour se trouver confronté aux contenus.
Afin de protéger les mineurs, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a saisi la justice au début de l’année 2022 et demandé le blocage de 5 sites pornographiques sommés d’empêcher de façon effective l’accès de leurs contenus aux mineurs.
De son côté, une étude menée en 2020 montre que la consommation de porno ne relève pas forcément d’une démarche volontaire de la part des jeunes : les images peuvent apparaître sans avoir été sollicitées via des pop-up, des publicités ou tout simplement sur les réseaux sociaux.
La généralisation du smartphone chez les adolescents s’est accompagnée d’une baisse significative du contrôle de leur activité en ligne. Pourtant existantes, les solutions de contrôle parental sont trop peu utilisées en raison d’une méconnaissance des adultes sur l’existence de ces outils ou de leur paramétrage. Cette situation n’est pas toujours connue des parents, seulement 7% d’entre eux estiment que leurs enfants regardent de la pornographie au moins une fois par semaine.
Des conséquences graves pour certains adolescents
Les spécialistes parlent de « viol psychique », et s’alarment des conséquences dramatiques que le X peut avoir sur la psychologie des plus jeunes. Addiction, perte de l’estime de soi, incapacité à construire une vie affective et sexuelle, incompréhension des notions de respect et de consentement, passage à l’acte violent.
Les mineurs n’ont pas les armes pour décrypter ce qu’ils voient, et font de la pornographie la base de leur éducation sexuelle. Le psychiatre Serge Hefez, responsable de l’unité de thérapie familiale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, confirme recevoir de plus en plus de jeunes qui s’enferment dans ce huis clos. «Le schéma est le même que dans les autres addictions, cela ne relève plus du désir mais du besoin. La vision répétitive de ces images devient inhibitrice, poursuit-il. Elle remplace la vie sexuelle, les jeunes concernés reculent devant un apprentissage de la sexualité plus progressif et délicat où l’on vainc l’inhibition à deux. » Il s’agit cependant d’une minorité, «tous les jeunes ne sont pas en danger», tempère le psychiatre.
Selon le pédopsychiatre Stéphane Clerget, le risque est que la sexualité des ados se construise sans sentiments, sans séduction ou jeux amoureux. Un enseignement parental sur les dangers d’internet, dans lequel les images explicites doivent être évoquées est indispensable, préconise-t-il.
Enfin, Alain Braconnier, psychiatre différencie « l’intime » du « sociétal ». Il constate en effet que l’âge du premier rapport n’a pas changé depuis 50 ans alors que la société est hyper sexualisée. Seuls certains ados deviendront des victimes addictives du porno, ceux qui vont bien, n’auront pas d’ennui. Il faut différencier l’ado qui souffre et qui va devenir une victime et l’ado qui vit bien son adolescence et qui mettra de la distance avec ce qu’il voit.
Pour autant, près d’un quart des jeunes déclarent que la pornographie a eu un impact négatif sur leur sexualité en leur donnant des complexes et 44% des jeunes ayant des rapports sexuels déclarent reproduire des pratiques qu’ils ont vues dans des vidéos pornographiques. Enfin, la pornographie représente un obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes : la majorité des contenus pornographiques aujourd’hui tend à valoriser la domination masculine et à mettre en scène des violences à l’égard des femmes.
Sensibiliser
Alors que les mineurs ont de plus en plus accès au porno en ligne, la Région Île-de France et ses partenaires (Île-de-France Prévention Santé Sida, Le Centre Hubertine Auclert, Le think tank Vers Le Haut, L’association e-Enfance) lancent auprès d’eux, de leurs familles et du personnel éducatif, une campagne de sensibilisation aux dangers de cette exposition.
Ensemble, autour du message «Le porno, c’est pas la réf » qui a vu le jour au début de l’année 2022, ils proposent des contenus à la fois ludiques et éducatifs sur l’estime de soi, les rapports amoureux et ainsi rappeler la loi et prévenir des dangers de la pornographie.
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